ALEXANDRA RECCHIA LA STAR DU KARATE FRANCAIS

01/12/2012 07:16

Alexandra Recchia au Creps de Chatenay-Malabry avec ses coéquipières EmilyThouy et Loliya Dona

A 24 ans, Alexandra Recchia a offert à la France, samedi 24 novembre, son premier titre aux Championnats du monde de karaté, qui se tiennent jusqu'à dimanche au palais omnisports de Paris-Bercy. Portrait d'une jeune femme pressée, au parcours atypique.

 

Pas de temps à perdre. Pour Alexandra Recchia, chaque minute est précieuse. Ce mardi matin, ce petit bout de femme à l'énergie débordante s'est levée tôt pour bûcher quatre heures durant ses cours de droit. En début d'après-midi, elle file rejoindre ses coéquipières Lolita Dona, Emily Thouy et Tiffany Fanjat pour un entraînement intensif de deux heures au Creps de Châtenay-Malabry avec leur entraîneur Yann Baillon. Avant même la fin de la séance, elle doit s'éclipser pour donner un cours de karaté fitness dans une salle à une heure de là. Le soir, elle replongera le nez dans ses bouquins pour obtenir, à la fin de l'année, son master 2 en droit du travail.

Mais ce qui la préoccupe le plus en ce moment, ce sont les championnats du monde de karaté qui ont lieu du 21 au 25 novembre au Palais omnisports de Paris-Bercy. Après un titre individuel dans la catégorie des moins de 50 kg, elle espérait remporter l'or avec son équipe. "Ça serait la grande classe, le plus beau jour de ma vie", s'enflamme l'athlète de 24 ans.

SURSAUT D'ORGEUIL

Alexandra Recchia a commencé le karaté à l'âge de 6 ans à Lyon. "Enfant, j'étais assez bagarreuse, se souvient la jeune femme. Ça m'a appris à maîtriser mes émotions." Et à ne s'en prendre qu'à elle-même en cas d'échec. "Un jour, en pleine compétition, j'ai eu un gros trou noir au milieu d'un kata [démonstration de techniques], raconte-t-elle. J'ai invoqué toutes les raisons du monde pour me dédouaner, mais ma mère m'a tout de suite remise à ma place." Piquée par un sursaut d'orgueil, la karatéka jura assez tôt qu'on ne l'y prendrait plus. "A partir de ce jour, j'ai enchaîné les compétitions, et pendant quatre ou cinq ans je n'ai pas perdu un seul combat."

Sur le tatami comme dans la vie, Alexandra Recchia est une combattante qui ne lâche rien. Entre ses entraînements quotidiens de karaté viennent s'intercaler des plages d'études, héritage d'un accord passé avec ses parents quand l'adolescente commençait à percer dans son sport. "C'était la carotte, explique-t-elle. Pas de bons résultats, pas de karaté, c'était aussi simple que ça. Très tôt, il a fallu que je m'organise pour allier les deux."

Le bac en poche à 17 ans, l'athlète décide de couper le cordon familial lyonnais pour rejoindre Avignon et son entraîneur Cécil Boulesnane. Champion de France, d'Europe et du monde en 2002, le sensei ("maître") lui apporte "la maturité et des tactiques de combat" qui lui ouvrent les portes de l'équipe de France. Une fois encore, pas question de lâcher les études de droit qu'elle commence à Aix-en-Provence. Boursière, l'étudiante dispose de 350 euros et d'une aide pour le logement de 150 euros. "Je vivais correctement parce que j'étais économe et que je donnais des cours de karaté qui me rapportaient une centaine d'euros par mois", raconte celle qui a mis de côté toutes les primes de ses résultats au niveau international pour les jours de vache maigre. "Trois mille euros par-ci, 1 500 par là. J'ai reçu quelques bourses de la région PACA ou de la Fédération française de karaté. La plus grosse, c'était celle de la Fondation de la Française des jeux [FDJ], qui m'a versé 10 000 euros en trois fois. Ce sont des sommes relativement modestes, mais qui m'ont bien aidée quand je suis arrivée à Paris."

Alexandra Recchia

Depuis qu'Alexandra Recchia a gagné la capitale, la Fédération française de karaté (FFKDA) lui verse 450 euros par mois. Une somme étoffée par la bourse du Crous de 160 euros mensuels. Pas de quoi faire des folies. Alors, pour ne pas trop puiser dans son bas de laine, elle donne de nouveau des cours de karaté dans une salle de fitness.

L'argent, c'est tout le problème du karaté, un sport qui peine à exister médiatiquement en France malgré ses 227 000 licenciés. A tel point que, pour retransmettre à la télévision les championnats du monde à Paris, la fédération a pris à sa charge les 200 000 euros de frais de production pour une diffusion gratuite sur France Ô. Une somme colossale pour cette petite structure qui espère récolter de nouveaux adhérents et l'assentiment du Comité international olympique (CIO) pour intégrer le cercle des Jeux. "Nous n'existons pas, alors que nous remplissons une mission de service public", déplore Francis Didier, le président de la FFKDA.

Dans ce contexte, difficile de rétribuer ses athlètes, même les plus titrés comme Alexandra Recchia. "C'est impossible, explique Francis Didier. Sur les 9 millions de chiffre d'affaires de la fédération, 1,8 million est dédié au haut niveau. Nous aidons nos champions au maximum et nous nous assurons qu'ils ne manquent de rien. Nous leur payons les équipements, tous les déplacements, c'est déjà beaucoup. A titre de comparaison, les athlètes américains, eux, payent tous les frais de leur poche."

En équipe de France, rares sont ceux qui poursuivent des études. "Souvent, ils travaillent chez un de nos partenaires comme La Grande Récré ou Altran, qui leur permettent d'avoir des horaires aménagés", ajoute Yann Baillon, l'un des rares entraîneurs nationaux. "Personnellement, je ne me plains pas, affirme Alexandra Recchia. Faire du haut niveau n'implique pas forcément d'être payé. On est très loin du football, et c'est peut-être mieux comme ça, même si parfois il faut être vraiment motivé pour continuer."

A des années-lumière du football, certes, mais très loin aussi du judo, son grand frère des sports de combat, qui occupe le devant de la scène médiatique depuis le début du règne de Teddy Riner en 2007. "Le judo, il ne fallait pas m'en parler il y a encore deux ans parce qu'il n'y en avait que pour eux. Et puis j'ai assisté aux championnats du monde à Paris et j'ai trouvé ça super-excitant. A tel point que j'ai suivi toutes les épreuves des JO, raconte Alexandra Recchia. A l'avenir, j'aimerais que les gens aient la même curiosité pour le karaté."

"JE REVOIS ENCORE MON COLLÈGUE LUI COURIR APRÈS"

Si Alexandra Recchia vit à Paris depuis deux ans, c'est pour poursuivre son master. Sur les douze demandes qu'elle a envoyées partout en France, pas une seule université n'a daigné lui accorder un entretien. "C'est une année difficile et les places sont chères, explique la karatéka. Personne ne voulait prendre de risque avec une athlète au planning déjà chargé." Personne, hormis la fac de Sceaux et son directeur de master Eric Hirsoux, qui n'avait que 28 places à distribuer sur 487 demandes. "Tous les étudiants avaient le même profil : un parcours brillant et des expériences solides. Ce qui a fait la différence, c'était l'originalité de l'élève. Le dossier d'Alexandra s'est donc vite imposé. Je revois encore mon collègue lui courir après à l'issue de l'entretien pour la recruter d'office." Mieux : de leur propre chef, les responsables de formation lui ont proposé de passer son cursus en deux ans. Récupération des cours manqués, travail dans l'avion, à l'hôtel et même dans les gradins les jours de compétition, Alexandra Recchia a joué le jeu jusqu'au bout tout au long de sa première année. "J'étais bluffé. Elle a apporté une solidarité entre les élèves que je n'aurais jamais soupçonnée", reconnaît M. Hirsoux, qui se définit pourtant comme un professeur plus "massacreur" que "laudateur" à l'endroit de ses élèves.

A la fin de l'année, Alexandra Recchia compte bien décrocher son master. Un pari difficile mais pas impossible pour "Dydy" (son surnom en équipe de France), qui a fait l'impasse sur certains cours afin de conserver toutes les chances de décrocher aussi un titre mondial à Paris. "On aura une bonne pression. Pour une fois, tous les projecteurs seront braqués sur nous, et il va falloir se surpasser pour briller devant notre public et nos proches. On doit renvoyer une bonne image du karaté", analyse-t-elle.

De la bonne organisation des championnats du monde dépendra peut-être l'avenir de sa discipline. "C'est une vitrine, c'est sûr, renchérit Francis Didier. Le CIO se prononcera en février 2013 sur le nombre de sports qui peuvent intégrer le cercle. Et en septembre, il désignera l'heureux élu. Alors on croise les doigts." En attendant, Alexandra Recchia ajuste sa technique favorite, l'ura-mawashi-geri, un coup de pied circulaire, avant la compétition. Forte d'un titre mondial sur ses terres, la jeune femme serait alors favorite pour décrocher l'Olympe en 2020. "Une idée pas si farfelue que ça", rêve Alexandra Recchia, pas mécontente à l'idée d'ajouter cette ligne d'or à son palmarès déjà bien fourni.