LA FNAC

07/06/2012 17:47

 

La Fnac, histoire d’un militantisme culturel

 
 

Anciens militants d’extrême gauche tout juste convertis en entrepreneurs, André Essel et Max Théret créent en 1954 une entreprise d’un nouveau genre. Leur objectif : faciliter l’accès aux biens culturels à une large clientèle. Cinquante ans plus tard, et après bien des ajustements, leur enseigne est devenue le leader européen de la distribution de produits culturels.

Max Théret et André Essel, fondateurs de la FNAC - © Archives FNAC / Doriane FilmsMax Théret est né à Paris en 1913 d’un père chef de rayon au Printemps, qui fondera ensuite son magasin de maroquinerie. Dès les années trente, il milite au sein de mouvements trotskistes et antifascistes, puis participe en 1936 à la guerre civile espagnole au sein de l’armée républicaine. En 1951, il crée un groupement d’achats, l’Économie Nouvelle, qui permet à des cadres de bénéficier de réductions chez certains commerçants. Théret souhaite développer ce système. Tandis qu’il dirige la coopérative centrale des PTT, il rencontre André Essel en 1953 par l’intermédiaire d’un ami, Fred Zeller, artiste peintre, militant politique et ami de Léon Trotski. André Essel (1918-2005) est né à Toulouse, de parents négociants. Durant son adolescence, il est ouvrier chez Talbot. Il adhère aux Jeunesses socialistes de la SFIO en 1935. Pendant l’Occupation, il milite dans des groupes clandestins de résistants antifascistes qui diffusent des journaux trotskistes. Il est découvert en 1943 par la police de Vichy et échappe de peu à l’arrestation. À la libération, il dirige le journal Drapeau Rouge des Jeunesses socialistes, avant de mettre fin à toute activité politique en 1949. Lorsqu’il rencontre Max Théret, André Essel est représentant de commerce en machines à copier.

LA FONDATION DE L’ENSEIGNE CULTURELLE

Théret et Essel s’associent en 1954 pour fonder la Fédération Nationale d’Achats des Cadres. Chacun détient 50 % du capital de l’entreprise. Essel s’occupe du travail administratif, tandis que Théret gère les achats des approvisionnements aux fournisseurs. Ils commencent par commercialiser des appareils photo à prix réduits pour faciliter l’accès de la population à la technologie, dans la France des Trente Glorieuses. « Pendant des années, la FNAC, c’était la photo. Quand on parlait de la FNAC, les gens voyaient la photo », se souvient Max Théret. L’offre se diversifie ensuite : les disques, l’électroménager et les articles de sport, aujourd’hui disparus, le livre en 1974, le matériel informatique dès le début des années quatre-vingt. Le premier lieu de vente ouvre ses portes le 1er mars 1954 dans un appartement situé au deuxième étage d’un immeuble du boulevard Sébastopol à Paris. Devant l’afflux de clients, un autre site ouvre ses portes en 1957 au rez-de-chaussée sur le même boulevard. La même année, le chiffre d’affaires atteint quatre millions de francs. « Il est certain que les premières années étaient extraordinaires, raconte Max Théret. Nous suivions une courbe de progression vraiment exponentielle, nous manquions de place, de personnel, c’était un cas unique en France. »

AU NOM DU CONSOMMATEUR

Dans un premier temps, Max Théret reprend le modèle de l’Économie Nouvelle. Des adhérents possèdent un carnet d’achats leur donnant droit à 20 % de remise chez des commerçants affiliés. Le système est vite abandonné, mais l’idée de privilégier le client face au fabricant demeure. Fondé dès 1954 et tiré à 300 000 exemplaires, le journal Contact servira de tribune contre les prix élevés. Sous la plume militante d’André Essel, les articles de Contact s’opposent aux prix imposés et dénoncent la mauvaise qualité de certains produits. Les titres des articles sont sans ambiguïté : « La bataille des prix continue » en 1957, « Assez de prix gonflés » en 1965. André Essel se souvient de l’incrédulité de certains clients face aux réductions effectuées par la FNAC sur le prix des appareils photo : « Je me souviens d’un client qui arrive. Il regarde tous les appareils photo. « Vous avez des Leicas ! Vous avez ça ! Mais vous ne faites pas 20 % dessus ? » Je lui dis « Si, voilà les prix du catalogue et voilà les prix que nous faisons avec les 20 % ». Le type a sorti une poignée d’argent. Il a dit : « Mettez-le moi de côté, je vais chercher d’autre argent pour le payer ». Il n’y croyait pas ! ».

Magasin FNAC Sébastopol en 1957 - © Archives FNAC / Groupe PPR

À la lutte contre les prix élevés s’ajoute une information précise concernant la qualité des produits vendus. Par exemple, des séances de commentaires de photos sont organisées en magasin avec les clients. Max Théret juge de la qualité du matériel en fonction de la netteté de la photo commentée. Ce type de conseil au consommateur et la dénonciation des prix conduisent certains fournisseurs d’appareils photo à boycotter la FNAC. Théret et Essel partent temporairement s’approvisionner en Allemagne. Quand, au mois de mars 1974, Essel et Théret introduisent le livre dans les rayons de la FNAC, ils décident d’ajouter une remise de 20 % sur chaque ouvrage. « Est-ce que le livre est fait pour les lecteurs ou est-ce qu’il est fait pour les libraires ? » demande André Essel, volontiers provocateur. Cette réduction provoque la colère des libraires et des éditeurs jusqu’à ce que la loi Lang sur le prix unique du livre ne vienne y mettre un terme en 1981. Si la FNAC mène toujours une politique de réductions pour ses adhérents (5 % sur les livres) ou pour l’ensemble de sa clientèle (« prix verts »), elle abandonnera peu à peu le modèle de vente des prix bas, comme elle le faisait à ses débuts pour les appareils photo.

« Des séances de commentaire de photos sont organisées en magasin avec les clients. Max Théret juge de la qualité du matériel en fonction de la netteté de la photo commentée. »

DEVELOPPER LE SENS ARTISTIQUE DES CLIENTS

La création de la FNAC est contemporaine du développement de la politique culturelle en France, initiée par André Malraux. C’est dans ce contexte que la mission de démocratisation de la culture, fixée par Essel et Théret, s’institue. Alors que le chiffre d’affaires de la FNAC s’élève à 50 millions de francs et que les effectifs regroupent quatre-vingt-dix personnes, ils créent en 1965 l’association ALPHA (Arts et Loisirs Pour l’Homme Aujourd’hui). Ils confient la direction de cette structure à Raymonde Chavagnac, un professeur de chant détaché de l’Éducation nationale. Première association française de spectacle, ALPHA propose des billets à prix réduits et fournit des aides financières à la création artistique. En 1968 par exemple, la FNAC organise le Festival de la jeune chanson française, qui révèle des auteurs compositeurs interprètes, à la carrière prometteuse. La création d’ALPHA trouve sa cohérence dans le projet de démocratisation de l’accès à la culture énoncée par Essel et Théret. Dès les premières années, ils souhaitent accompagner l’activité commerciale d’un service, d’une information et d’une animation. L’inauguration de magasins plus vastes, au cours des années soixante-dix, permet d’organiser des concerts et des rencontres entre les artistes et le public. C’est le cas dès 1974 avec la venue de Maria Callas à la FNAC. D’autres artistes, tels que Juliette Gréco ou Gilles Vigneault, suivront lors de ces « Vendredis de la FNAC Étoile ». Face à la croissance rapide du chiffre d’affaires de l’entreprise, la création d’autres lieux de vente s’impose. Avant l’ouverture d’un premier site en province à Lyon en 1972, un nouveau magasin ouvre ses portes sur l’avenue de Wagram à Paris, non loin de la célèbre place de l’Étoile. André Essel s’occupe personnellement du recrutement des vendeurs. Les effectifs de la FNAC passent de 300 à 600 salariés entre 1968 et 1970.

 

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